Seishi traversa le village à grands pas, marchant droit devant lui sans autre but que de s'éloigner de tous. Il s'arrêta pourtant soudain et regarda autour de lui. Sans s'en rendre compte il était revenu au petit espace isolé où Ryô s'entraînait. Avec un cri de rage il frappa le tronc de l'arbre auprès duquel il se tenait. Celui-ci émit un craquement sec alors que Seishi se laissait glisser à genoux, posant front et poings serrés sur le tronc.
- Pourquoi ? souffla-t-il.
Il ravala les sanglots qu'il sentait vouloir s'échapper. Depuis qu'il pratiquait la médecine il y avait bien des faits auxquels il avait dû s'accoutumer, à défaut de s'y insensibiliser. Mais, une mort aussi inutile... Pourtant, il aurait tout fait pour aider ces villageois mais ils le refusaient. Ses épaules s'affaissèrent, laissant retomber ses bras. Tout comme il aurait tout donné, sa vie même, pour Soma mais là aussi il s'était vu rejeté. Il perçut une présence derrière lui et tenta de se ressaisir.
- Seishi-san... murmura une voix incertaine. Seishi releva la tête.
- Ryô-kun ? souffla-t-il.
Le jeune homme s'assit sur ses talons près de lui, la tête baissée.
- Est-ce que... Que s'est-il passé ?
Seishi soupira.
- Il... Kaganga est mort.
- Et bien... Ryô hésita, Il était âgé non ? S'il était malade...
- Il n'aurait pas dû mourir pour ça ! le coupa Seishi. Il est mort alors que s'il m'avait laissé le soigner il serait guéri depuis longtemps !
Un regard dans les yeux du médecin confirma à Ryô la blessure que sa voix trahissait. Il soupira.
- Je suppose qu'il nous faut accepter les choix et superstitions de chacun.
- Pas si elles vont à l'encontre de la vie d'une personne ! s'emporta Seishi. Je refuse un tel prix !
~
Ryô ne préféra pas continuer sur cette voie, ne supportant pas la rage désespérée du médecin. D'une certaine manière Seishi-san avait raison mais on ne pouvait forcer les gens à accepter leurs soins. S'ils étaient trop stupides pour voir ce que celui-ci leur offrait et ne savaient apprécier un tel don, ils ne méritaient pas l'intérêt du médecin.
Seishi-san, se rendant compte de sa réaction, s'apaisa.
- Pardon, murmura-t-il. Tu n'y es pour rien. Peut-être as-tu raison après tout... A quoi bon de toute manière...
Ryô regarda le médecin, sourcils froncés, l'air interrogateur. Celui-ci soupira et baissa la tête, l'air désemparé. Le poing de Ryô se serra inconsciemment.
- A quoi tout cela sert-il ? Parfois je me le demande vraiment. Nous n'avons pas les moyens de soigner les cas graves et les autres... ils ne nous font pas confiance... La voix de Seishi-san tremblait.
Ryô lui attrapa brutalement les épaules et l'invectiva.
- Vous n'avez pas le droit de dire ça ! A part ces vieux fous la majorité du village vous respecte et sait à quel point vous les soulagez et vous vous dévouez pour eux. Et pour moi, la seule guérison de Sama est un trésor inestimable qui vous est dû !
Il ne pouvait voir l'expression de Seishi-san derrière la chevelure dorée, celui-ci gardant la tête basse, mais les tremblements qui agitèrent les épaules dans ses mains lui serrèrent le cœur. Soudain le médecin se laissa tomber contre lui, cachant son visage dans son cou. Ryô resta pétrifié.
- Pardon, hoqueta la voix presque inaudible de Seishi-san. C'est juste que... J'ai... Je suis... Un peu las je suppose...
Ryô ne savait que faire. Voir le médecin si fragile et si désemparé, tellement à l'opposé de l'image qu'il avait de lui, le déstabilisait complètement. Mais il se souvenait de toutes les fois où lui-même il y avait bien longtemps aurait eu désespérément besoin de quelqu'un, juste d'une présence. Il ne pouvait supporter ce même malheur. Malheur qu'il avait toujours cru hanter les yeux du médecin, enfoui derrière le sourire apparent. Il réalisa que ses bras s'étaient, sans qu'il s'en rende compte, refermés sur son aîné. Combattant un premier réflexe de recul, il l'enserra, doucement mais assez fermement pour offrir tout le soutien dont le médecin pourrait avoir besoin. Confusément il comprenait que l'événement précédent n'avait été que le révélateur d'un malaise plus profond et plus ancien. Il ragea de ne savoir ce qui avait ainsi blessé quelqu'un comme Seishi-san et de ne pouvoir y remédier ou s'en venger.
~
Tellement las... Songea Seishi. Tout ce qu'il souhaitait, ou était actuellement capable de faire, était de rester ainsi prostré, profitant lâchement de l'illusion d'une personne aimante depuis longtemps disparue. Malgré tous ses efforts et le temps passé il lui semblait que rien n'aurait pu combler le vide terrible qui s'était emparé de lui. Peut-être cela avait-il été une erreur de fuir les seules personnes qui se souciaient de lui et qu'il devait effrayer ou blesser par son absence mais il n'aurait pas non plus pu endurer ces rappels permanents d'un passé au bonheur innocent. Il serra un instant le corps contre le sien, bouée salvatrice contre son naufrage définitif. Une lointaine part de lui lui reprochait d'imposer sa faiblesse à son sauvage compagnon duquel il sut apprécier la signification d'un tel geste. Enfin, il rappela à lui les forces lui restant et s'écarta de Ryô, sans pour autant croiser son regard. Celui-ci demeura immobile et silencieux, sans doute embarrassé.
- Merci Ryô-kun, murmura le médecin, je suis vraiment navré de t'avoir imposé ma faiblesse et ces écarts.
- Non, au contraire je... sortit précipitamment Ryô avant de se mordre les lèvres. Je... Vous m'avez souvent dit que si j'avais besoin vous seriez là pour moi alors... alors j'aimerais... Enfin, si je peux faire la moindre chose pour vous...
Seishi le regarda enfin avec un faible sourire. Ryô rougit et concentra son regard sur ses mains dans ses genoux.
- Enfin je veux dire, je... je ne suis pas... Mais...
Le sourire de Seishi s'élargit. Il prit les mains du jeune homme et les serra doucement.
- Merci Ryô-kun. Il se releva, immédiatement imité par son compagnon. Je crois qu'on fait une belle paire à nous deux décidément. Alors autant s'entraider et essayer d'être plus fort ensemble.
Ryô acquiesça, toujours un peu mal à l'aise.
- Bien, conclut Seishi, je pense que je ferais mieux de retourner à l'infirmerie... On ne sait jamais.
~
Sur ces mots Seishi-san s'éloigna, laissant le jeune homme libre d'action. Celui-ci le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le village puis retomba soudainement à genoux. Il inspira profondément.
Tant d'événements étaient survenus durant ces deux jours, tant d'émotions... Et toutes impliquant Seishi-san. L'urgence du moment passée, il se trouva stupéfait de ses propres réactions face à lui... Ou plutôt de son absence de réaction. Il ne se souvenait plus d'une telle proximité physique ou émotionnelle avec qui que ce soit depuis tant de temps. Le matin même Seishi-san avait forcé les barrières dont il se protégeait et l'avait entraîné dans un divertissement amical dont il s'était bien malgré lui délecté jusqu'à, tout de même, sa panique stupide. Et voilà que, quelques heures plus tard Seishi-san à son tour perdait son habituelle sérénité pour révéler une fraction de sa fragilité cachée et provoquer en lui des sentiments qu'il ne parvenait pas très bien à analyser. Il s'était depuis si longtemps fermé à ce genre d'émotions qu'il avait à présent des difficultés à les gérer. Mais il avait tout à coup ressenti une telle douleur face à la détresse du médecin qu'il n'avait pu s'empêcher de vouloir le défendre et le protéger. Il réalisait qu'il n'était pas le seul à avoir son lot de blessures et que, malgré tout, les autres n'étaient pas uniquement sources de celles-ci mais aussi support et confort. Il soupira et regarda le village où avait disparu le médecin. Il comprenait ce que tentait de lui transmettre Seishi-san depuis le début... Evidemment celui-ci avait raison. Lui-même avait critiqué les villageois mais ne faisait guère mieux. Et il se rendait compte qu'il avait besoin de ce que le médecin lui offrait, et qu'il ne pouvait plus s'isoler ainsi qu'il l'avait fait en ignorant les autres. Peut-être... Peut-être Seishi-san pourrait-il devenir un ami... Quelqu'un avec qui il pourrait redécouvrir le véritable Ryô.
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