Ryô reposa le bidon d'eau qu'il avait dû retourner chercher, Seishi-san l'ayant apparemment oublié lorsqu'il avait quitté leur « dôjô » improvisé. Il hésita. Tout était rangé dans la cuisine. Seishi-san avait apparemment dîné et tout remis en ordre la veille. En revanche il ne semblait pas avoir petit déjeuné. Où était-il à présent ? Devait-il lui préparer quelque chose ? Il haussa les épaules. Seishi-san prenait rarement quoi que ce soit le matin. Autant le lui demander directement. Il décida tout de même de préparer du thé brûlant puis s'arma d'une tasse, prit son courage à deux mains et partit à la recherche du médecin. Il finit par le trouver, naturellement dans « l'infirmerie », s'occupant déjà d'un malade. Il attendit patiemment que le médecin achève sa consultation puis s'approcha doucement. Celui-ci le remarqua enfin et le regarda d'un air abattu, semblant lire la question dans les yeux de Ryô.
- Ce n'est pas brillant, son état se dégrade si vite... Je ne peux rien faire.
Ryô connaissait l'homme décharné qui venait de les quitter. Cet homme était atteint du SIDA à un stage déjà avancé.
- Vous donnez le meilleur en votre pouvoir, vous ne pouvez pas accomplir de miracle.
Encore qu'à ses yeux le bonheur de la petite Sama était un miracle en soi, dû au médecin. Celui-ci eut un soupir pour toute réponse.
- Je... J'ai fait du thé chaud, reprit le jeune homme, si... Si vous désirez...
Seishi-san eut un faible sourire et accepta la tasse.
- Merci
- S... Seishi-san... commença Ryô.
En cette situation il aurait volontiers usé de plus de politesse mais cela agacerait probablement Seishi-san. Celui-ci le regarda, avalant une gorgée de thé.
- Je...
Plaquant les bras le long du corps Ryô s'inclina et débita d'une traite.
- Je vous prie de pardonner mon inconduite inqualifiable de ces deux derniers jours. Cela ne se reproduira plus.
Le médecin eut l'air stupéfait, puis, rabaissant la tasse, il secoua la tête.
- Non... Il n'y a pas lieu de s'excuser. Ecoute, je peux comprendre si tu désires garder tes distances ou si certaines choses te gênent. Je ne peux pas me rendre compte de ce que je « t'impose » mais il suffit de me le dire.
- Non, je... voulut protester Ryô.
- La seule chose que je veux que tu saches, l'interrompit Seishi-san, c'est que je serai là pour ce dont tu auras besoin et m'efforcerai de faire honneur à toute confiance dont tu me jugeras digne.
~
Seishi parvint à réprimer un soupir en se demandant une nouvelle fois s'il avait choisi suffisamment précautionneusement ses mots et en quelle langue il devait le dire pour que Ryô comprenne enfin...
- Hai, merci beaucoup Seishi-san... Mais, ce n'est pas... Enfin... Je suis honoré de l'attention que vous me portez, je vous respecte et je vous admire beaucoup Seishi-san, c'est... C'est juste que... que je... ne suis pas habitué je pense...
Il détourna la tête.
- Habituellement je... Les gens...
- Merci Ryô-kun, je comprends. Mais pense seulement que l'on ne te veut pas forcément du mal. Prends ton temps pour accepter les autres, et moi si tu le veux bien.
Un bruit à la porte attira leur attention. Une vieille femme demanda si le docteur pouvait l'aider. Seishi hocha la tête et lui fit signe d'entrer. Il reporta alors son attention sur son compagnon.
- J'ai oublié Ryô-kun, Sama est passée tout à l'heure et comme elle voulait aller jouer avec les autres la journée je lui ai donné son traitement.
Ryô acquiesça puis inclina la tête.
- Merci pour tout. Je ne vous décevrai pas.
- Je sais, sourit Seishi. Mais tu ne me dois rien. Il coupa court aux dénégations esquissées de Ryô et chassa son propre agacement qu'il sentait poindre. Tu te dois à toi seul !
Il tourna alors la tête, s'apercevant que la femme approchait en boitillant. Suivant son regard, Ryô le réalisa à son tour et prit de vitesse le médecin pour se porter à son aide.
Seishi l'examina alors. Une entorse à la cheville, constata-t-il, puis entreprit d'appliquer un bandage adapté. Ryô alla donc rechercher dans le matériel des béquilles qu'il avait fabriquées à la demande du médecin quelques mois auparavant devant un cas semblable. Une fois celles-ci trouvées, il attendit sans un mot, admirant le travail de son aîné.
- Voila c'est terminé ! annonça Seishi avec un sourire.
- Merci docteur. Vous êtes bon et je sais qu'avec vous je guérirai. Je ne suis pas comme ce vieux fou de Kaganga !
Seishi fronça les sourcils.
- Kaganga ? N'est-ce pas le vieil homme qui vit un peu à l'écart, qui avait refusé de me voir ?
La femme hocha la tête d'un air entendu.
- Celui qui incite les autres à rester fidèle au sorcier.
~
Ryô essaya de comprendre l'objet de la conversation. Il semblait que certaines choses ici lui avaient échappé... Une nouvelle fois il n'avait pas dû s'en préoccuper. Il savait que bon nombre d'anciens restaient méfiants vis à vis d'eux mais...
- Est-il souffrant ? avait demandé Seishi-san.
- Soufrant ? Taaa ! la femme fit un signe contre le mauvais œil. Cette bourrique doit déjà être en route pour rejoindre ses ancêtres !
- Comment ?
Ryô sursauta devant le cri inattendu du médecin. Celui-ci s'était levé d'un bond. Il murmura quelques mots d'excuses et s'éclipsa à la hâte. Ryô resta un moment interloqué.
- Mais...
- Bah, grommela la vieille qui s'était relevée et attrapait les béquilles, il perd son temps.
Ryô l'aida à se familiariser avec puis lui demanda où était la case du vieil homme dont ils avaient parlé. Seishi-san avait semblé profondément affecté par les nouvelles apportées par la femme. Il voulait savoir, peut-être Seishi-san aurait-il besoin d'aide ou... Ou il ne savait pas pourquoi exactement mais il voulait être auprès de lui au cas où.
Quittant la femme et l'infirmerie, il partit à la recherche de ce fameux Kaganga. Il ne tarda pas à découvrir son but. Il n'aurait même pas eu besoin d'indications pour y parvenir. Un petit attroupement s'était formé près de la case. A peine avait-il fait mine de s'approcher que des regards hostiles se braquèrent sur lui. Un autre des vieux du village s'approcha alors.
- Va-t-en ! cracha-t-il Ou alors dis à ce blanc de partir et allez-vous en tous les deux !
Ryô serra les poings, sentant son sang bouillir.
- Vous n'avez rien à faire ici ! continua l'homme.
- Nan mais tu vas la fermer oui vieille bouse ! menaça à son tour Ryô avant d'être coupé par des cris encore plus virulents provenant de la petite troupe.
A sa grande surprise il réalisa que certains provenaient d'une voix qu'il connaissait bien mais jamais encore à de tels volumes et avec de telles intonations. Attirés par le chahut, d'autres villageois rejoignirent Ryô. Le médecin apparut alors, bousculant ses opposants pour s'extirper de la case. Le cœur de Ryô ne fit qu'un bond et il accourut, prêt à réduire en bouillie le premier qui toucherait au médecin. D'autres suivirent son mouvement, lançant à leur tour une collection d'imprécations exotiques. Il était vrai que le jeune médecin était aussi populaire chez la jeune génération qu'il n'était rejeté d'une partie de l'ancienne. Pourtant, Seishi-san remit les énergumènes un peu trop excités à leur place en quelques mouvements efficaces. Il repoussa alors brutalement les autres et s'écarta.
- Seishi-san ! Seishi-san ! Tout va bien ? interrogea Ryô, parvenant près de lui. Mais celui-ci ne se préoccupa pas de lui.
- Vous êtes plus stupides et bornés que vos pintades ! ragea-t-il. A présent je me désintéresse de vous. Si un jour vous décidez de ne pas crever inutilement comme des bêtes vous savez où me trouver.
Le médecin tremblait de colère. Il tourna les talons et s'éloigna sous les cris satisfaits des anciens, bientôt rabroués par les plus jeunes. Ryô hésita un instant puis se libéra à son tour de la petite foule grondante pour se lancer à la poursuite de Seishi-san.
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