Seishi posa le pied sur la terre brûlante de l'aéroport de fortune. Presque neuf mois jour pour jour après la première fois, songea-t-il. La mission dans laquelle il s'était engagé était une mission longue durée mais ses membres étaient repartis comme prévu au bout de huit mois alors qu'une nouvelle équipe installait un camp à quelque distance. Pourtant, Ryô et lui avaient choisi de rester et avaient ainsi maintenu un relais dans le premier camp où leur propre équipe reviendrait dans quelques mois. Seishi avait cependant fini par effectuer un bref retour en France à l'occasion des fêtes de Noël. Il savait sa famille inquiète et ses parents dans l'incompréhension vis à vis de cette « fuite » en Afrique. Ce séjour les avait quelque peu rassérénés. Il est vrai que le soleil africain lui donnait un air apparent de bonne santé. Et effectivement, physiquement il se sentait bien, le reste... Le reste se reconstruisait tout doucement.
Un des membres de la nouvelle équipe, venu pour l'accueillir, le sortit de sa rêverie. Seishi prit une profonde respiration. Ils passeraient reprendre Ryô qui, ne pouvant rester seul, était demeuré dans le nouveau camp pendant son absence, puis il serait à nouveau loin de tout... Et loin de ces toujours douloureux souvenirs que la France avait ravivés en lui.
Il esquissa un sourire. Il s'était en revanche réellement pris d'affection pour le jeune Ryô. Son apparente rudesse et indifférence rebutait et lui aliénait la plupart des gens, mais ce n'était évidemment qu'une façade masquant une très grande sensibilité et probablement de profondes blessures. Des brèches décelées, Seishi avait pu contourner certaines de ses barrières et ouvrir quelque peu le jeune homme à l'extérieur. Lorsque l'on savait mériter de sa part et lui accorder en retour confiance et responsabilités, le jeune homme se dévouait entièrement à en être digne à son tour. Seishi pensait à présent être gratifié d'une certaine sympathie maladroite. Par certains côtés il me rappelle... Il coupa net ses pensées avant qu'une douleur toujours trop vive ne puisse le terrasser. Après leur réelle « prise de contact » grâce à Sama, Ryô avait imperceptiblement commencé à prêter attention à ses travaux et à l'aider de plus en plus ouvertement jusqu'à devenir son unique assistant, ou équipier préférait dire Seishi, pendant ces derniers mois. Je serais vraiment fier s'il me considère un jour comme son ami. Et il le désirait réellement, tout comme il désirait faire tout en son pouvoir pour comprendre et aider le jeune homme.
~*~
Ryô shoota dans un caillou, agacé. Il s'ennuyait. Depuis le départ de Seishi-san il avait été contraint de demeurer dans le nouveau camp établi par leur organisation. Il s'y sentait inutile et indésiré. Projeté brutalement parmi eux, il n'avait pu s'empêcher de reprendre ses distances de nouveau et cela avait une nouvelle fois lassé ses compagnons. Pourtant... Ses relations avec leur ancienne équipe s'étaient imperceptiblement améliorées au cours du temps, mais il savait que ce n'était dû qu'à une seule personne. Sans s'en rendre compte, depuis que Seishi-san lui avait une fois confié la responsabilité de Sama, il s'était de plus en plus intéressé à la tâche du médecin, puis l'avait aidé de plus en plus, jusqu'à ce que celui-ci lui demande réellement de l'assister. S'était-il assoupli au contact du médecin ou les autres avaient-ils changé d'avis sur son compte en le voyant participer plus ouvertement à la vie du camp ? Toujours était-il que les attitudes et le ton employé à son égard s'étaient sensiblement adoucis.
Mais ceci était momentanément fini et il se languissait de retourner s'enquérir de la petite Sama qu'ils avaient quittée avec réticence et « abandonnée » aux soins d'une femme de son village. Et il se languissait par conséquent du retour du médecin sans lequel cela ne serait pas possible. Ryô se laissa tomber sur une grosse pierre arrondie. Il avait hâte que Seishi-san revienne tout simplement aussi, il devait se l'avouer. Il avait fini par réellement apprécier le jeune médecin toujours si calme, posé et encourageant. De toutes façons, qui ne l'aimait pas ? Il aurait aimé pouvoir être son ami, il aurait aimé rencontrer des gens comme lui plus tôt dans sa vie... Voyant qu'il n'avait nul autre lieu où aller, Seishi-san lui avait même proposé de l'accompagner. Mais qu'aurait-il fait là-bas, seul dans un monde encore plus inconnu à part Seishi-san qui, lui, devait être attendu avec impatience ? Non, décidément, il était mieux ici dans ce milieu sauvage, « presque » libre...
Un lointain ronronnement et un nuage de poussière attirèrent l'attention du jeune homme. Enfin, quelques minutes plus tard, Seishi-san débarquait du 4x4 du camp. Ryô souffla. C'était un miracle, tous les avions et relais avaient dû fonctionner parfaitement pour permettre au médecin d'arriver dans la tranche horaire prévue ! Comme de bien entendu, la plupart de l'équipe se pressa autour de lui pour obtenir soit des nouvelles, soit le matériel que Seishi-san avait évidemment profité de ramener pour la mission.
Et comme d'habitude celui-ci ne put se soustraire aux attentions « amicales » de l'une des infirmières du groupe. Tous les prétextes étaient bons.
Non mais qu'est-ce qu'elle croit, ricana Ryô, cette espèce de militaire manquée avec sa coupe à la garçonne et ses rondeurs que l'Afrique commence seulement à ronger... Qu'elle va faire concurrence à toutes les jolies filles qui doivent se traîner aux pieds de Seishi-san ?
Encore que, réfléchit Ryô, il n'a jamais évoqué la moindre relation féminine. Mais bon, Seishi-san avait beau être une crème, voire parfois franchement trop « bonne poire » à son avis, il ne fallait pas abuser.
Une fois les bagages descendus et les salutations d'usage échangées Seishi-san sembla vouloir s'esquiver. Il fit signe à Ryô. Celui-ci hésita un instant puis finit par aller à sa rencontre de mauvaise grâce.
- Bonjour Ryô-kun ! Est-ce que tout va bien ? s'enquit-il avec un grand sourire. Ryô ignora les regards peu enthousiastes des autres.
- Très bien merci Seishi-san.
- Bon, serais-tu prêt à partir immédiatement ? Je crois que j'aimerais autant en finir avec tout ce qui est voyage aujourd'hui même !
Ryô haussa les épaules.
- Ca ne me pose pas de problème, au contraire. Mais ne voulez-vous pas vous reposer avant, je parie que vous n'avez encore rien avalé non ?
- Il a raison, renchérit l'infirmière jusque-là délaissée. Vous allez finir par vous tuer à la tâche, ce serait dommage !
Ryô leva les yeux au ciel.
- Je vous avais mis de côté une part du repas au cas où, nous n'aurons qu'à partir après. Vous me donnerez les instructions pour les préparatifs en mangeant.
Le médecin lui jeta un regard reconnaissant et le suivit, assurant à l'infirmière zélée qu'elle ne devait pas perdre son temps pour lui.
~*~
Ryô poussa un soupir exaspéré et, accompagné par Sama, sortit de la case pour se diriger vers les cris que l'on distinguait non loin. Seishi-san avait tenu à aller chercher l'eau mais il n'allait tout de même pas attendre trois heures qu'il ait fini de s'amuser ! Depuis leur arrivée les enfants du village n'avaient pas lâché le médecin d'une semelle. Tous deux s'étaient cependant préoccupés en premier lieu de la petite Sama, mais une fois rassurés, ils n'avaient pu éviter d'être accaparés par toute une petite foule enthousiaste. Il avait dû gérer tout cela seul le temps que Seishi-san fasse un bilan de la situation avec le chef du village puis avait à nouveau laissé la place au médecin pour aller préparer leurs affaires. Devant son refus d'attendre ou de laisser les affaires du médecin en vrac, celui-ci avait bien tenté de l'aider mais... Un choc brutal puis une « gifle » froide et humide coupèrent court à ses récriminations. Un cri étouffé fit écho au sien. Eberlué, il réalisa alors que, perdu dans ses pensées, il n'avait pas entendu le chahut se rapprocher, ce qui lui aurait indiqué la proximité du groupe d'enfants, et il avait heurté Seishi-san en voulant tourner à l'angle d'une case. Les rires et cris joyeux des enfants fusèrent de toutes parts.
- Go... Gomen... balbutia-t-il, désorienté.
- Non, non c'est moi, pardon ! Le visage désolé du médecin se pencha sur lui. Oh mon dieu tu es trempé !
Ryô baissa les yeux et constata en effet que son torse et son ventre étaient bien mouillés... Probablement le contenu du seau à présent à leurs pieds. Il comprenait mieux la sensation étrange qu'il avait ressentie !
- Heureusement ici tu ne risques pas d'attraper froid, constata Seishi-san en effleurant le tissu détrempé. Mais bon, ça ne doit pas être agréable, enlève ta chemise ce sera sec en cinq minutes.
Le jeune homme se raidit d'un coup.
- Pas la peine, ça ira comme ça merci.
- Mais...
- Au contraire, ça me rafraîchit, je ne vais pas fondre, ajouta-t-il pour atténuer le ton brusque et irrité qu'il réalisa avoir employé. Il repoussa doucement les mains de la petite Sama qui s'amusait à le tapoter en riant.
- Tout mouillé Ryô-niisan, ça colle !
- Ecoute c'est trop bête vraiment, avec les enfants qui me bousculaient je n'ai pas fait attention. Il tendit la main vers la taille du jeune homme. Si vraiment ce sont les coups de soleil qui te font peur, plaisanta-t-il, je te prêterai ma chemise mais...
Ryô eut un mouvement de recul brusque.
- Non ! Foutez-moi la paix, ça va je vous ai dit !!
Poussant Seishi-san, il ramassa le seau et s'éloigna à grands pas vers le puits.
~
Seishi le regarda partir, interloqué, jusqu'à ce qu'une main se glisse dans la sienne.
- Qu'est-ce qu'il a Ryô-niisan ? interrogea la petite voix de Sama.
- Je... Je ne sais pas... Je ne voulais pas... souffla Seishi perplexe.
Durant la fin de la journée Ryô évita tout contact avec le médecin. Il avait achevé la préparation du repas puis avait disparu en bredouillant quelques excuses comme quoi il devait finir d'installer le camp. Seishi avala rapidement son repas puis remit tout en ordre avant de rechercher le jeune homme pour l'aider. Celui-ci n'était ni dans sa case ni dans celle du médecin. Toutes les affaires étaient cependant en place, lits et moustiquaires installée. La soirée étant peu avancée Seishi en profita pour remettre en état et réorganiser la partie soin du camp. Lorsqu’enfin il se coucha, Ryô n'avait toujours pas reparu.
- Et bien ça commence bien... songea-t-il avant de fermer les yeux, éreinté.
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