Ryô alla voir les enfants comme à son habitude. Il s'arrêta et regarda le spectacle, agacé. Six mois s’étaient écoulés depuis l’arrivée des français. Depuis son arrivée, Seishi-san, le jeune médecin, était le plus souvent possible avec les enfants, il avait même lui aussi réussi à apprendre leur langue. Il décida d'aller s'occuper de ceux jouant à l'écart lorsqu'une voix l'interrompit.
- Oh Ryô-kun, s'il te plaît pourrais-tu me donner ma mallette que j'ai laissée au pied de l'arbre à côté de toi ?
Ah oui, et il avait « gentiment » imposé les prénoms… Ryô fit volte-face, furieux.
- Je ne suis pas votre... Il s'interrompit en découvrant Sama accorder un grand sourire à Seishi-san.
- Tu as des objets magiques dans ton sac ? Tu peux vraiment enlever le mauvais esprit en moi ?
Seishi-san agita un doigt réprobateur.
- Je t'ai déjà expliqué que ce n'était pas un mauvais esprit. Si tu as confiance en moi nous réussirons à te guérir, même si ce n'est pas de la magie que j'ai dans mon sac.
Seishi-san s'arrêta à son tour, semblant se rendre compte que Ryô n'avait pas apporté son sac. Celui-ci le réalisa aussitôt. Il sursauta et attrapa précipitamment la mallette. Il s'approcha alors et la tendit sans un mot ni le regarder franchement. Seishi-san hésita un instant puis la prit et le remercia. Il chercha dans son sac tandis que Sama l'observait tout en jetant de fugaces coups d'oeil à Ryô. Celui-ci hésita également mais ne put s'empêcher de rester, un peu en retrait, pour regarder. Enfin, Seishi-san sortit une petite boîte.
- Voilà ! Finalement j'ai été bien inspiré de laisser ça !
Il extirpa une plaquette de pilules pour les montrer à Sama.
- Tu vois maintenant, quand tu seras malade, quand ça te fait mal et que tu n'arrives plus à respirer, tu devras prendre ça. Mais attention !
Sama regardait sans mot dire, attentive.
- Ce n'est pas pour tout le temps. Seulement une bille quand tu es très malade comme hier. Mais garde-les toujours avec toi pour si tu en as besoin. Tu as compris ?
Sama hocha la tête gravement en prenant la plaquette tendue par Seishi-san.
- Bon, et puis tu devras venir me voir tous les jours. Je te donnerai un autre médicament et je surveillerai que le mal s'en va. Tu es d'accord ?
Sama le gratifia d'un nouveau hochement de tête. Ryô ne put s'empêcher d'admirer le sourire éclatant qui illumina le visage de Seishi-san.
- Tu verras, continua-t-il en passant affectueusement une main dans les cheveux de la fillette, ton coeur est un petit paresseux mais on va le forcer à faire honneur à son adorable propriétaire. Et que je ne t'entende plus jamais prétendre que tu as le mauvais oeil !
L'enfant secoua la tête et, serrant la précieuse boite contre elle, partit en courant.
- A demain ! cria Seishi-san avec un dernier signe de la main.
~
L'enfant hors de vue, Seishi soupira et se redressa, s'étirant bras tendus vers le ciel.
- Comment avez-vous fait ? Comment ... Comment avez-vous su ...
Seishi sursauta presque, réalisant seulement que Ryô était resté tout ce temps à observer la scène. Celui-ci garda les yeux détournés et dansait, mal à l'aise, d'un pied sur l'autre. Seishi reporta alors son regard vers les enfants jouant non loin.
- Fait quoi ? demanda-t-il.
- Pour Sama..., répondit Ryô d'un ton en oscillant entre l'impatience et l'embarras, J'ai essayé pendant des mois de gagner sa confiance et savoir ce qu'elle avait... Je voyais qu'il y avait un problème mais elle a toujours fui notre intérêt. Ikeda-sensei disait que personne au village n'avait rapporté quoi que ce soit.
Seishi ne répondit pas tout de suite et tourna légèrement la tête vers le jeune homme.
- Tu l'aimes... Tu les aimes beaucoup n'est-ce pas ?
Celui-ci lui jeta un coup d'œil furtif comme pour juger de ses intentions puis, joignant les mains dans son dos, acquiesça imperceptiblement.
- Je t'ai observé tu sais... Ce que tu fais avec eux est réellement admirable.
Les yeux de Ryô s'agrandirent légèrement mais il se força à rester en apparence détaché.
- Gagner l'amour et la confiance d'enfants est ce qu'il y a de plus difficile... Et pour toi c'est naturel et mérité, car tu leur donnes tout...
Ryô le regarda à nouveau quelques secondes. L'espionnait-il donc ? Etrangement il fut à peine irrité. Les paroles du médecin n'étaient pas teintées de reproches, au contraire. Ryô avait cessé depuis longtemps de chercher un quelconque compliment ou sympathie, il ne savait comment réagir à ces paroles. Il ne pensait pas inspirer la moindre appréciation positive aux autres membres de ce camp... Mise à part, il osait l'espérer, les enfants... Ceux-ci ne savaient pas mentir.
- Quant à Sama, poursuivit Seishi ne voulant pas incommoder plus le jeune homme, ma foi, il sourit, je suppose que mon âge impressionne plus... Et puis il n'y a rien à faire, quelque part, mes cheveux ici leur évoquent quelque chose comme un démon ou un sorcier je ne sais pas trop... Je suppose que dans ce cas ça m'a aidé et un peu plus de fermeté a fait le reste.
Il ne put empêcher un petit rire devant l'air éberlué du jeune homme. Celui-ci se reprit et le regarda, furieux. Seishi leva une main.
- Je t'en prie, je suis sérieux, je ne me moquais pas de toi !
Celui-ci parut sceptique un moment puis croisa les bras, s'absorbant dans la contemplation des enfants.
- Vous avez tout de suite compris ce qu'elle avait ? Qu'est-ce qu'elle a au juste ? Ce n'est pas grave dites...
Les derniers mots avaient été prononcés presque à regret, honteux… Quelques instants se passèrent avant que Seishi ne réponde.
- Ce ne serait pas si grave ailleurs qu'ici... Il se trouve que j'ai sur moi de quoi la soigner pour quelque temps mais... Je ne peux l'examiner comme il se doit ici mais je pense que son coeur présente une malformation, heureusement pas trop importante, mais qui provoque ces malaises dont elle souffre parfois. Ceci peut être corrigé par ces médicaments en grande partie. Je ferai tout pour la soulager.
~
Ryô ne put s'empêcher de retourner son attention sur le jeune médecin, le ton de sa voix le surprenant soudain. Le monde de douleur et de tristesse que trahissaient à présent ces yeux bleu-nuit le laissa déstabilisé et sans voix.
- Je... Quelqu'un à qui je tenais beaucoup avait le même problème... souffla à peine le médecin. Il sembla se rendre compte du trouble de son compagnon et s'efforça de reprendre d'une voix plus détendue. Je suppose que je connais bien ce mal.
Ne sachant trop quoi répondre devant le pâle sourire que Seishi-san tentait de replacer sur son visage, Ryô préféra demeurer muet. Il se surprit à presque vouloir offrir son soutien et consoler son aîné mais se retint et n'osa l'interroger plus avant, fort étonné lui-même de la sympathie qu'il avait soudain ressentie.
- Je dois penser à remercier Sama, avait poursuivi le médecin d'un ton apparemment léger.
Ryô le regarda, l’air interrogateur.
- Grâce à elle j'ai eu l'honneur d'une discussion avec toi !
Il s'était détourné avant que le Ryô n'ait pu rétorquer.
- Continue de veiller sur elle, je ne peux hélas me consacrer uniquement à elle mais je serai là si besoin...
Il s'éloigna et disparut derrière une des cases du camp.
Ryô resta un moment debout, perdu, puis se laissa tomber à terre et planta son menton sur ses bras croisés autour de ces genoux. Il soupira. Depuis longtemps il se forçait à ne pas porter intérêt à qui ou quoi que ce soit... Sauf ces enfants, et c'est ainsi qu'il avait décelé puis tenté d'élucider en vain le problème de Sama. Il n'avait pas prêté attention au chirurgien plus qu'aux autres, outre le fait que celui-ci empiétait sur son territoire en se préoccupant fréquemment des enfants, mais après tout, lui pouvait les aider et les soigner, comme ça avait été le cas pour Sama... Ce que lui, Ryô, ne pouvait accomplir malgré toute sa bonne volonté. Maintenant qu'il y réfléchissait le jeune médecin devait être le seul à ne jamais s'être lassé de son caractère et à l'avoir traité avec toujours une sorte de respect poli, suggérant sans l'imposer une certaine sympathie.
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