Elle tira une bouffée de sa cigarette, puis se mit – enfin – à se comporter à peu près normalement, et lui demanda ce qu’il faisait dans la vie. Ils discutèrent un long moment, et ce fut une très agréable conversation. La jeune femme se montra très intéressée par l’époque victorienne et, lancé sur son sujet favori, Hal devenait un véritable moulin à paroles. Ils évoquèrent ensuite Sherlock Holmes, l’œuvre de Dickens et Frankenstein, puis leurs films et séries télé favoris.
- Alors comme ça, ta colocataire trouve que ce cher Victor est un abruti ? Tu lui as montré celui de Penny Dreadful ?
- Je ne connais pas.
Elle éclata de rire.
- Tu es passionné par l’époque victorienne et tu ne connais pas Penny Dreadful ? C’est impardonnable. Viens, je vais te montrer.
Hal la suivit. Il était plutôt surpris ; il lisait et regarder tout ce qu’il pouvait sur cette époque depuis sa plus tendre enfance et n’avait jamais entendu parler de cette série.
La jeune femme le mena à une chambre et sortit un ordinateur de ce qui devait être son sac – un grand sac à main noir digne d’une sacoche de médecin de l’époque victorienne, et il dut se retenir de lui demander où elle l’avait trouvé.
Elle s’allongea sur le lit, lui fit signe de la rejoindre et mit en route le premier épisode.
Hal s’allongea sur le ventre à côté d’elle. Il n’était pas sûr de ses intentions ; voulait-elle seulement regarder l’épisode ou espérait-elle autre chose ? Et il avait toujours ce drôle de sentiment d’étrangeté et de familiarité à la fois…
Bah ! Il passait un bon moment et il voulait rentrer le plus tard possible – les murs de l’appartement étaient fins et il ne tenait pas particulièrement à entendre les ébats de Jane. Si la jeune femme initiait quelque chose, il improviserait sans mal, et sinon, il découvrirait une série télé prometteuse.
C’est ce qui faillit se passer. La jeune femme ne tenta pas le moindre rapprochement.
Ils en étaient au milieu de l’épisode, et Hal avait compris pourquoi il n’en avait jamais entendu parler ; c’était une série bien plus fantastique qu’historique.
- Bienvenue dans le demi-monde, Mr Chandler, dit Miss Ives. Puis elle se tourna face à la caméra, regarda Hal droit dans les yeux et lui dit :
- Bienvenue, Mr. October.
Hal crut qu’il rêvait, ou bien qu’il avait vraiment trop bu. Enfin, ce n’était pas possible, les personnages joués par des acteurs et enregistrés par des caméras ne parlaient pas aux spectateurs !
- Mr. October ? Nous vous attendons, insista Miss Ives.
Incapable de détacher son regard de l’écran, tout aussi incapable de jeter ne serait-ce qu’un coup d’œil à la fille à côté de lui et convaincu d’être en train de devenir fou, Hal répliqua :
- Je m’appelle Halloween. Mon nom de famille n’est pas October.
- Là où nous allons, il vaut mieux que votre véritable nom ne soit pas prononcé, Mr. October. Allons, venez, le demi-monde n’attend que vous.
- Venir ? Venir où et comment ?
- Faites un pas vers moi. Venez.
Elle tendit la main dans sa direction.
Comment faire un pas allongé sur un lit ? Le cerveau d’Hal était décidément en train de lui jouer des tours. Il prit le parti de ramper de vingt centimètres en direction de l’écran tout en mimant un pas.
Il sentit ses jambes frotter contre le drap, puis, sans savoir comment, il se retrouva allongé sur le sol d’un égout crasseux, face à la main tendue de Miss Ives en chair et en os.
Il se releva presque aussitôt, bredouilla quelque chose comme « Ce n’est pas possible », mais déjà les personnages de Penny Dreadful s’éloignaient, et il courut derrière eux pour les rattraper.
- Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Comment c’est possible ? Je suis dans l’épisode, là ?
- Mais non. Connaissez-vous l’histoire d’Halloween, Mr. October ?
Ce n’était pas sa période de prédilection comme l’était l’époque victorienne, mais Hal était néanmoins en mesure de répondre. Même s’il ne voyait pas le rapport.
- A l’origine, c’est une fête celte. Samain.
- Le jour où le voile qui sépare le monde des vivants de celui des morts est le plus fin. Le jour où ces deux mondes communiquent. Le jour que célèbre le demi-monde, le monde qui vit entre les deux. Et que sommes-nous, nous autres créatures de fiction, si ce n’est des êtres ni vivants ni morts ?
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