Jane était rentrée – et ils savaient tous les deux que si la salle de bains était toujours prise, c’était Hal et son amour des bains qui étaient à blâmer. Jane se douchait en dix minutes, montre en main.
Il sortit péniblement du bain, enfila à la hâte un jean et un pull, et ouvrit la porte pour faire face à sa colocataire.
Jane avait un teint olivâtre dû à ses origines méditerranéennes, un petit visage pointu, des cheveux noirs coupés en carré strict et de grandes lunettes. Si vous vous arrêtiez à sa tête, vous la prendriez sans doute pour un stéréotype de la bibliothécaire sévère, d’autant plus que son expression hautaine ne la quittait jamais. Mais si vous descendiez un peu, vous la découvririez sanglée dans un kimono vert émeraude, avec un pantalon en cuir noir et de longues bottes à talons et cuissardes. Vous en conclueriez que Jane n’est pas ordinaire, et vous auriez raison, elle ne l’était pas.
- J’espère que tu n’as pas encore vidé le ballon d’eau chaude.
- Ce n’est arrivé qu’une fois. Et bonjour à toi aussi, répliqua-t-il en souriant.
Elle lui lança un dernier regard sévère et s’engouffra dans la salle de bains.
Jane et Hal s’étaient rencontrés un an plus tôt par l’intermédiaire de leur propriétaire, alors qu’ils étaient tous les deux intéressés par l’appartement. Hal avait tout de suite été séduit par l’idée de la colocation, mais Jane avait été beaucoup plus longue à convaincre. Et il avait compris qui elle était avant même de la voir, quand il avait entendu le claquement de ses talons sur le parquet – personne ne marchait avec des talons comme Jane – et le cri « Il est propre, celui-là, au moins ? Le dernier moron avec qui j’ai habité laissait ses poils dans la douche ! »
Hal sourit à ce souvenir et se prépara quelques tartines de beurre de cacahuètes en guise de dîner.
Cela faisait précisément dix minutes qu’il était sorti de la salle de bains. Jane entra dans la cuisine en reniflant d’un air désapprobateur.
- Tu devrais te préparer de la vraie nourriture.
Elle-même ne mangeait que des légumes, mais Hal était convaincu qu’elle cachait des friandises quelque part et que même dans mille ans, personne n’aurait réussi à trouver où. Le cerveau humain était faible face à Jane.
- Comment était ta journée ? lui demanda-t-elle, radoucie, en réchauffant quelque chose de vert.
- Le shooting s’est bien passé, et sinon… Regarde ce que j’ai acheté !
Il sortit précautionneusement de son sac le vieux livre, et Jane sourit. Étudiante en littérature, elle ne comprenait que trop bien les difficultés de son colocataire à résister à l’attrait des livres. Sa propre thèse portait sur la versification des Sonnets de Shakespeare.
- Et toi, quoi de neuf ?
- Grosse soirée au Shed hier. J’ai cru que mon service ne finirait jamais, mais on a bien ri à la fermeture.
L’étrangeté de leurs passions respectives était la première chose qui les avait rapprochés ; alors que Hal payait une partie de ses études grâce au mannequinat, Jane travaillait au Bike Shed Restaurant, passait ses week-ends sur sa moto, et rêvait de remporter le Tourist Trophy de l’île de Man.
- Tu as quelque chose de prévu, pour Halloween ? demanda Jane.
- Oui.
- C’est-à-dire ?
- Sucreries, saison 2 de Stranger Things et Frankenstein. Pourquoi ?
La question était purement rhétorique. Il savait très bien ce que Jane allait dire.
- Il y a une fête chez Miriam. Viens avec moi au lieu de rester dans ton coin !
- J’y suis bien, dans mon coin, répliqua-t-il en sachant très bien que la bataille est perdue d’avance. Tu ne veux pas me rejoindre, toi ?
- Il y aura autant de sucreries chez Miriam qu’ici, je ne vais pas attendre le 31 pour binge-watcher toute la saison 2 de Stranger Things et Frankenstein est le pire abruti de toute l’histoire de la littérature.
Il sourit.
- D’accord, je viens.
Jane ne sourit même pas – elle n’en avait jamais douté.
- Et tu as intérêt à trouver un costume assez correct pour ne pas me faire honte !
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